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Même s’il n’avait ni le physique ni l’esprit d’un aventurier, Vincent McLeod n’en demeurait pas moins un chercheur irréductible. Lorsqu’il s’intéressait à un projet, il y plongeait corps et âme. Avec l’accord de Cédric, il avait acquis le logiciel qui permettait de déchiffrer le code secret de la Bible et d’autres textes sacrés. Avant de les disséquer pour les étudier, il les avait utilisés en respectant les directives de leurs concepteurs. Ces programmes informatiques ne fonctionnaient qu’avec l’hébreu, soit la langue originale de ces documents. En fait, la Bible avait été construite comme une immense page de mots croisés. Il y avait pour ainsi dire un autre texte sous la Bible, qui avait attendu des milliers d’années que les hommes se mettent à son niveau.
En reproduisant les combinaisons suggérées par les auteurs du logiciel, Vincent ne pouvait s’empêcher de se demander si c’était bien une intelligence humaine qui avait codé les textes sacrés. Qui d’autre aurait pu établir de telles prédictions ? « Un sacré médium », admit le jeune savant.
Alors qu’il s’émerveillait de la simplicité du système SLÉ, ou Séquences de Lettres Équidistantes, Vincent se rappela une conversation qu’il avait jadis eue avec Yannick Jeffrey, avant que ce dernier ne se transforme en Témoin de Dieu. Yannick lui avait dit que d’horribles événements surviendraient lorsqu’un certain livre secret serait ouvert par un réprouvé, à la fin des temps. En effet, seul le Messie était censé le faire en toute sécurité, car lui seul pouvait casser ses sept seaux. Ce livre secret était-il la Bible ?
En tapant le nom de grands personnages historiques sur son clavier, Vincent avait trouvé des mots qui décrivaient assez bien ce qui leur était arrivé.
— Et si je lançais une recherche sur mon propre nom ? réfléchit-il tout haut.
Il commença par le transposer en lettres hébraïques, puis questionna le logiciel à son sujet. À sa grande surprise, des mots s’illuminèrent diagonalement et verticalement dans le texte.
— Comment est-ce possible ? bredouilla le savant. Le nom de McLeod n’existait pas en Judée il y a trois mille ans, tout de même.
Il hésita un long moment avant d’en demander une traduction en français, puis le fit en tremblant. Les mots « démons », « sacrifice » et « seul espoir » apparurent alors devant ses yeux stupéfaits.
— Mais qu’est-ce que cela veut dire ? s’énerva-t-il.
Il comprenait fort bien la signification des deux premiers mots pour les avoir récemment vécus, mais quel était ce seul espoir dont parlait la Bible ?
— Yannick, tu ne sais pas à quel point j’aimerais que tu sois ici, murmura-t-il, de plus en plus inquiet. La dernière chose que je veux, c’est que le sort du monde repose sur mes épaules.
Mais ce n’était qu’une interprétation possible parmi des centaines d’autres. Les créateurs du logiciel mettaient d’ailleurs ses utilisateurs en garde contre les explications trop faciles ou trop hâtives. Un même verset pouvait tout aussi bien contenir des histoires relevant du passé, du présent et de l’avenir.
— Calme-toi, Vincent, s’encouragea-t-il.
En faisant le même exercice avec les noms de ses collègues, sans doute arriverait-il à y voir plus clair. Il entra donc le nom de Cindy Bloom dans le système et trouva les mots « serpent », « trahison » et « fin du monde ».
— Doux Jésus, s’étrangla-t-il.
Au lieu d’élucider ces passages obscurs, il n’avait réussi qu’à s’embrouiller davantage. De plus en plus agité, il refît le même exercice avec le nom d’Océane Chevalier et serra les dents en attendant les résultats de la recherche. Les mots « séduction », « Satan » et « danger » se détachèrent du texte.
— Pourquoi tous nos noms se trouvent-ils dans un livre vieux de trois mille ans ? paniqua-t-il.
Comment l’auteur de la Bible avait-il pu prévoir que trois personnes, devenues des agents de l’ANGE, seraient mêlées aux événements de la fin du monde ?
Le visage livide, Vincent tapa le nom de Cédric Orléans. Il n’obtint que ces mots : « prince de sang » et « grande incertitude ».
— Mais qu’est-ce que cela signifie ? Prince de sang de quel pays ?
Il constata alors qu’il ne savait pas grand-chose sur le passé de son directeur. Avant d’imprimer ses découvertes et de les lui soumettre, il fit une dernière recherche sur le nom de Yannick Jeffrey, mais rien n’apparut.
— Évidemment, puisque ce n’est pas son vrai nom…
Il tapa plutôt celui de Képhas. Le logiciel ne lui répondit que par un seul mot : « décapité ». Horrifié, Vincent fit vivement reculer sa chaise. C’est alors qu’il vit les regards des autres techniciens rivés sur lui. Ne désirant pas expliquer son étrange comportement, le jeune savant bondit sur ses pieds, mit fin à sa session de travail et quitta les Laboratoires en courant. Ses pas résonnèrent si fort dans le long couloir qu’il n’entendit pas le bruit des petits talons qui le suivaient.
Il eut à peine le temps de refermer la porte de sa petite chambre qu’elle s’ouvrait de nouveau, laissant apparaître Cindy. Comme tous les autres employés qui travaillaient à des postes d’ordinateur, quelques minutes auparavant, elle avait assisté à la crise de panique de Vincent.
— Que s’est-il passé ? le questionna-t-elle en agrippant les manches de son sarrau blanc. Qu’as-tu vu sur ton écran ? Dis-moi que ce n’est pas un autre piège virtuel de l’Agence !
Des larmes coulaient sur les joues du pauvre agent.
— Vincent, parle-moi !
— Je pense que je vais changer de travail…, s’étrangla son ami.
— As-tu vu un autre démon ?
— C’est pire encore…
Cindy le força à s’asseoir sur le lit avec elle.
— Dis-moi tout.
Il lui décrivit en quelques mots ce qu’il avait trouvé dans la Bible.
— Serpent, trahison et fin du monde ? répéta-t-elle, n’ayant vraiment retenu que le passage qui la concernait. Mais qu’est-ce que ça signifie ?
— Justement, je l’ignore. Il est plus facile de comprendre les mots associés à des personnages politiques parce que nous savons ce qui leur est arrivé.
— Le serpent fait peut-être référence à ce qui m’est arrivé avec les reptiliens. Quant à la trahison, ce peut être n’importe quoi.
— Moi, c’est plutôt ton association avec la fin du monde qui m’énerve.
— Nous y sommes tous mêlés, maintenant, Vincent, que nous le voulions ou non. Le Ravissement a eu lieu, alors nous sommes très certainement au beau milieu des Tribulations qui mèneront au règne de l’Antéchrist et au retour du sauveur du monde.
Cindy s’empara d’un bloc-notes et d’un crayon qui traînaient sur la petite commode.
— Soyons méthodiques, suggéra-t-elle.
Elle écrivit les noms sur lesquels Vincent avait fait des recherches, puis les mots révélés par le code.
— Tu n’as pas regardé ce qu’il disait sur Aodhan ? s’étonna-t-elle.
— Non. Je me suis arrêté après « décapité ».
— Il est évident que nous ne sommes pas au bout de nos peines, selon la Bible. Heureusement, je me suis préparée à me battre.
— Eh bien, moi pas.
— Je vais t’emmener au dojo dès demain.
— Je ne suis pas un homme violent, Cindy. Tout ce que je veux, c’est aider les gens à ma façon, derrière un ordinateur.
— Dans ce cas, les mots « seul espoir » devraient suffire à te rassurer. Il est évident que tu survivras à tous ces sombres événements. J’en suis moins sûre pour Océane, par contre. As-tu fait une recherche sur Océlus ?
Le savant secoua la tête pour dire non.
— Tu as un esprit scientifique, Vincent. Tu es capable de poursuivre ce travail sans te laisser emporter par tes sentiments. Il est important que nous sachions ce qui va se passer.
— Malheureusement, celui qui a encodé les textes sacrés ne nous a pas laissé de manuel explicatif ou, s’il l’a fait, nous ne l’avons pas encore découvert.
— Et si c’était ce qu’il entend par « seul espoir » ? C’est peut-être toi qui dois le trouver ! Fais-moi plaisir et reviens devant l’ordinateur.
Elle le saisit par le bras et le tira vers la porte.
— Je ne veux pas qu’on me pose de questions aux Laboratoires, protesta Vincent.
— Allons ailleurs, dans ce cas.
Cindy l’emmena dans le bureau d’Aaron Fletcher, le chef de la sécurité, qui se trouvait à l’extérieur à cette heure-là de la journée.
— Es-tu sûre qu’on peut utiliser son appareil ? résista Vincent.
— Nous ne sommes ici que parce que tu ne veux pas affronter tes collègues, rappelle-toi.
Le jeune savant prit place sur le confortable fauteuil capitonné et s’empressa d’accéder à ses fichiers. Debout derrière lui, Cindy tentait de comprendre ce qu’il faisait.
— Nous y sommes, annonça Vincent.
— Fais la recherche pour Aodhan.
Le code leur fournit trois mots pour l’Amérindien : « berger », « guérison » et « Montréal ».
— Mais Montréal n’existait même pas lorsque la Bible a été écrite, protesta Cindy. Es-tu certain que ton logiciel de traduction est bon ?
— J’ai eu la même réaction que toi quand le programme a trouvé mon nom dans ce texte.
— Essaie Océlus.
Vincent ne trouva évidemment rien. Il tapa plutôt le nom de Yahuda Ish Keriyot sur son clavier et obtint les mots « incompris », « exécution » et « tragédie ».
— Ce n’est pas beaucoup plus rose que pour Képhas, soupira le savant.
— Si les prophètes disent vrai et, pour l’instant, je n’ai aucune raison d’en douter, les deux Témoins seront exécutés par l’Antéchrist, pas seulement Yannick. C’est très difficile, mais j’essaie de m’y préparer.
— Il doit y avoir une autre façon d’utiliser ce code…
— Pourrais-tu chercher un dernier nom pour moi ?
— Oui, bien sûr, même si je doute que cela nous éclaire davantage. De qui s’agit-il ?
— Cael Madden.
— Le faux prophète de Washington ? C’est un charlatan !
— Nous n’avons aucune preuve qu’il soit un imposteur.
Vincent céda devant le regard insistant de la jeune femme et demanda à l’ordinateur de lui traduire le nom de Madden en hébreu.
— Le vert te va bien, murmura le savant en attendant le résultat de la recherche.
— Merci, répondit timidement Cindy.
Des lettres s’illuminèrent dans le texte s’entrecroisant verticalement et horizontalement : « libérateur », « controversé » et « Jérusalem ».
— Eh bien ! s’exclama triomphalement l’agente.
— C’est aussi obscur que pour les autres noms, si tu veux mon avis.
— Il libérera Jérusalem !
— Tu oublies le « controversé ».
— C’est à cause des gens sceptiques comme toi. Je vais aller voir ce que je peux trouver dans nos bases de données sur tous ces mots. Peut-être font-ils partie ensemble d’articles de journaux ou d’extraits de documents importants.
Vincent en doutait, mais il ne voyait pas de mal à la laisser faire ce genre d’enquêtes. Il ferma ses fichiers pour ne pas se faire surprendre par le chef de la sécurité, puis suivit Cindy dans le long corridor. Elle retourna aux Laboratoires, tandis qu’il poursuivait sa route jusqu’aux Renseignements stratégiques. « Si seulement je savais comment contacter les malachims à volonté », regretta le jeune savant en se plantant derrière les techniciens.
Vincent aimait promener son regard sur la centaine d’écrans qui tapissaient le mur et qui transmettaient des images de tous les coins de la planète. Son esprit ultrarapide arrivait à suivre très facilement le cours des événements d’un pays à l’autre. Partout, c’était le chaos. Les policiers et les militaires faisaient de leur mieux pour rétablir l’ordre. « Combien de temps devrons-nous encore attendre avant de nous remettre de ces événements ? » se demanda Vincent.
Il poursuivit son chemin jusqu’à la porte du bureau de Cédric et y fut informé qu’il était absent, ce qui était plutôt inhabituel. Forcé d’attendre son retour, Vincent se risqua aux Laboratoires. Sans faire de bruit, il se faufila jusqu’à la pièce isolée par des murs en plexiglas où les techniciens procédaient aux examens des objets suspects à l’aide de machines très sophistiquées. Elle était inoccupée depuis plusieurs semaines, alors le savant y serait enfin tranquille.
Vincent s’installa devant l’un des ordinateurs et prit une profonde inspiration avant de rappeler à l’écran le logiciel du code de la Bible. Cette fois-ci, au lieu de le questionner de nouveau sur les noms des gens qu’il connaissait, il plongea au cœur du programme pour voir comment il était composé.
— Il y a certainement une autre façon de procéder…, siffla-t-il entre ses dents en parcourant les longues lignes de codes informatiques.